30 may 2011

François


Pas d’étoile au firmament

La France m’envoie un François

Bienvenue entrez faites comme chez vous

On parle folklorique et musique

Zique, zique, zique

On évite littérature

Schschschschsch

Van Gogh et Picasso au galop


François est mort vive François

On m’envoie un autre François


Ça recommence

Musique folklorique

Schschschschshcsch!

Picasso et Rodin au besoin


Derrière tous ces palabres anodins

Le point de fuite toujours le même

Le triangle maudit


Venez, n’allons pas danser

Mourons ensemble dans la clairière abandonnée

Abandonnons les corps et les émois

Ne restons pas là


Fuite maudite

Triangle éternel

Dieu n’est pas mort


François est mort

Ascension fulgurante

Petit nuage de fumée envolée


Société infernale

C’est elle qui l’a tué

Ventre troué

Assassiné

Délivrance ultime

Enfin le coma, la joie

Partir, enfin


François est vivant

Il parcourt l’appartement

Il le prend, il l’achète, il le vend

François rit, il est bien vivant


De petites rides se sont creusées autour de ses yeux bleus

Il a souri malgré le suicide

Il a les rides d’un homme de quarante ans

Mais n’en a que trente

François a survécu au suicide du père

François croit à l’exil en pays lointain


J’accueille tous les François de la terre

Et je leur fais visiter

Bienvenue sur la planète Terre


Comme elle est petite

Comme elle n’est pas grande

Je sais, je sais

On s’imagine

On imagine toujours autre chose

La façon dont le Petit Prince en parlait

Je sais, je sais

Il faut s’habituer, c’est tout

Vous vous habituerez vous aussi

Vous vous habituerez, François

Et puis, un jour, on l’aime et on ne veut plus la quitter


Je n’ai rien choisi du tout

Ni la maison

Ni la couleur des murs

Ni la forme des pièces

Ni les voisins

Ni rien du tout

Et le voisin a choisi de m’ignorer

Enfin, lui, croit qu’il a tout choisi

Lui a tout

Et moi, rien


La roue tourne

Et je m’ennuie de toi, François

De cette unique nuit

Où nous avons ri comme des fous


Nous avons épuisé le rire

Il en est mort

Et l’enfant n’aura jamais connu son père


Toi, si vivant, si près de la mort

Toi dans le lit ricaneur

Parce que la boule ne peut plus être sérieuse

Que s’est-il passé?


La boule qui redevient sérieuse

Qui passe de la gorge à l’estomac


La boule qui prend toute la place

Qui anéantit tout

L’espoir qui disparaît

Le recours à l’efface-mémoire

La noyade à l’eau-de-mort


François mon amour d’une nuit

Je n’aime pas l’idée de ta disparition

Je m’y ferai, c’est tout


Entrez, entrez, oui, oui, c’est bien ici

C’est ici qu’on joue toute la vie

À gauche, Nintendo

À droite, jeux de guerre au laser

Copulation interdite pour raison d’hygiène et de santé

Ici, cartes, bingo, loterie

Là, échecs, échecs, échecs

C’est bien ici qu’on s’amuse ferme jour et nuit


François, comment c’est là-bas?

L’enfer c’est la terre

Je n’entends pas

Qui a parlé?


Tous les François de la terre

Par ici le paradis

C’est gratuit

Pas besoin de numéro

Seulement garder le rang

Tout le monde sera content


François mon amour d’une nuit

Donne-moi des nouvelles

Mon amour de toute une petite vie

Je t’embrasse par-delà la grande nuit

Et je t’aime

Même si on ne sait pas ce que ça signifie


Toute la terre est verte

Et toi, tu es parti


Des chapeaux pour tout le monde

Le soleil frappe fort

Et le gagnant de ce magnifique condo

Est...

François!

Bravo François! À droite la piscine

À gauche le garage, en bas le gazon, en haut le ciel


François de la terre

C’est beau la vie, on dit

Mon corps meurt de le croire tellement fort

Et le tien est parti


Par ici, par ici, la fête n’est pas finie

Qui aura l’honneur de gagner le premier séjour sur la Lune?

Attention, les jeux sont faits

Et le hasard tombe sur...

François

Bravo François! Un magnifique voyage pour deux sur cette merveilleuse planète


Tout mon corps crie

Ne t’en va pas!

Il est trop tard

Tu es déjà mort


Et pour tous les autres François

Des billets gratuits

Pour la grande roue de la vie

Approchez, approchez

Tout est gratuit aujourd’hui


Bientôt n’y aura plus que mon silence

Et tous leurs cris


Et maintenant pour les petits

Une offre toute spéciale

Par ici, les amis

Tous main dans la main

Mc’dodo va vous raconter une petite histoire

Et vous allez tous très bien dormir ce soir


Le ciel est plein d’étoiles

La Terre nous envoie un Terrien

Bienvenue entrez faites comme chez vous

Folklorique et musique

zique, zique, zique

Littérature et peinture

Schschschschschschsch

Zique, zique, zique,

Schschschschschsch

Zique, zique,zique, shcschschschsch


©Denise Blais

Montréal, mai 1998

11 may 2011

Extrait de mon premier roman


Extrait de Le ciel non plus je ne pouvais pas le peindre, disponible dans toutes les bonnes bibliothèques.
Merci au Loup de Gouttière pour avoir cru en mon talent.

L'amour ce n'est jamais des mots
Mon père va venir me chercher. Il va venir. Nous irons dans le parc nous balancer de tout ce monde qui ne tourne pas rond. C'est un vrai cercle vicieux. Même les carrés sont vicieux. Et les carrés commencent à être plus vicieux que les cercles. Je vais en parler à mon docteur. Non! je n'en parlerai pas à mon docteur parce que je n'ai pas de docteur qui m'appartienne et je n'en veux pas. Il faut toujours dire le docteur, jamais mon docteur. Mon père ce n'est pas pareil. Il vient avant moi et je suis là à cause de lui. Mais Feller n'est pas mon docteur. Il n’est qu’un pauvre docteur parmi tant d’autres qui se ressemblent tous et qui cultivent les mêmes problèmes toute la journée derrière leur grand bureau. Ne veulent même pas dire leur prénom quand on leur demande. Ils en ont honte, ils n’ont pas l’air de se rendre compte que tout finit toujours par se savoir. Je sais déjà que le prénom de Feller est Donald. Il a raison de le cacher. À sa place, j’essaierais aussi de camoufler mon Feller de nom. S'il a un problème d'identité, c'est son affaire. Moi, je me mêle toujours de mes affaires. C'était le principe de mon père, et c'est un bon principe. Ça existe de moins en moins, les principes. On voit ce que ça donne. Une bande de moutons. Je ne veux pas être une moutonne. Ils ne comprennent pas qu'on peut s'écoeurer de vivre comme le troupeau. J'en ai marre de leur moutonnerie. Mon père non plus n’a jamais aimé les moutons. Il avait 33 ans quand il a déserté. Et moi à peine 6. Je n'aime pas ce chiffre, c'est un chiffre qui porte malheur. Mes préférés, ce sont 2, 4, 7 et 9, et 0 bien sûr. Avec ces cinq chiffres, on peut faire les plus belles phrases. Le 9, il faut faire attention de ne pas le mettre à l'envers. Le 0, on peut le mettre dans tous les sens. 0, on ne sait pas si c'est le début ou la fin, personne n'a jamais pu me répondre avec certitude là-dessus. Je le mets toujours à la fin. 0 c'est comme la pleine lune, c'est la perfection. C'est vrai, on n'a pas besoin de pratique pour bien faire ce chiffre-là. C'est un chiffre inné, tout le monde peut le faire. Le 3 est difficile à apprendre, la plupart des gens n'ont jamais réussi à faire de beaux 3. Le 2 est un peu plus facile. Pas beaucoup. Il ne faut pas croire que l'envers de 6 c'est 9, ça n'a rien à voir. 6 c'est un chiffre qui porte malheur, 9 c'est le bonheur. 99 c'est un instant avant d'atteindre deux 0. Et 999 999 999, c'est le plus beau mais personne ne peut l'atteindre. Personne! 0, ça ne peut pas être la nullité, c'est toujours la perfection. Comme les pyramides. 0, c'est la première lettre de l'alphabet, la dernière aussi, comme dans Zéro.Le ciel non plus je ne pouvais pas le peindre, Denise Blais, Éditions Le Loup de Gouttière, 1999, p.27-29